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Une soeur, le nouveau roman graphique de Bastien Vivès

Six ans après Polina, Bastien Vivès revient au roman graphique en solo, auteur complet et accompli. En maître de la suggestion, il esquisse l’éveil trébuchant d’un désir adolescent et teinte d’une gravité inattendue ce récit délicat et sensuel. Avec Une sœur, Bastien Vivès passe du statut de jeune prodige à celui de créateur de premier plan.

Six ans après Polina, Bastien Vivès revient au roman graphique en solo, auteur complet et accompli. En maître de la suggestion, il esquisse l’éveil trébuchant d’un désir adolescent et teinte d’une gravité inattendue ce récit délicat et sensuel. Avec Une sœur, Bastien Vivès passe du statut de jeune prodige à celui de créateur de premier plan.

Antoine, 13 ans, part en bord de mer pour les vacances avec ses parents et Titi, son frère cadet. Tous deux passent le plus clair de leur temps à dessiner au restaurant comme à la plage, entre deux parties de chasse aux crabes. Une nuit, Antoine découvre une personne supplémentaire couchée dans leur dortoir. Hélène a 16 ans, elle est venue avec sa mère passer quelques jours chez eux et sa présence comme son comportement provoquent chez Antoine un trouble ambigu.

Premières amours

Bastien Vivès revient ici à ses premières amours, un récit à l’intrigue ténue et ramassée dans le temps, qui joue des non-dits et observe les relations telles qu’elles peuvent s’établir entre deux personnes. Cependant, contrairement au Goût du chlore et Dans mes yeux où il est plutôt question d’émois amoureux de jeunes adultes, Une sœur explore l’adolescence et la naissance des désirs et attachements. En dix ans de carrière, Bastien Vivès s’est enrichi de ses expériences collectives (Lastman) et récréations diverses pour acquérir l’aisance et l’intensité d’un auteur authentique. Son style graphique emboîte le pas de cette maturité. La profondeur de ses masses noires gagne en puissance quand son trait n’hésite pas à lorgner vers l’épure, l’esthétique, quelquefois l’abstraction. Avec une habileté sans pareille, il adopte, d’une case à l’autre, différents registres graphiques sans jamais dérouter son lecteur. Toujours au service d’une narration sensible, de la justesse de l’émotion, ses pages ne manquent pas d’évoquer une forme d’élégance de la bande dessinée telle qu’elle se pratiquait dans (À Suivre).

Roman (cinémato)graphique

 

Si l’on disait des réalisateurs de la Nouvelle Vague et, en particulier d’Éric Rohmer, qu’ils filmaient comme des romanciers, il apparaît à la lumière d’Une sœur que Bastien Vivès écrit et dessine comme un cinéaste. Le livre, en effet, renvoie à une légèreté de ton dans l’examen minutieux des mouvements amoureux et érotiques que pratiquait un certain cinéma d’auteur français dans les années 80. Sans aucune citation directe, le lecteur convoque pourtant, au fil des pages, ses propres réminiscences du 7e art classique ou moderne. Le ton rappelle Rohmer ou Rivette, le sujet fait songer à Sofia Coppola et Larry Clark, le traitement peut l’apparenter à Cécile Sciamma ou Sophie Letourneur. Cet effet filmique est renforcé par les procédés employés par Bastien Vivès. L’usage récurrent de cases panoramiques, la répétition d’images et, inversement, le grand soin apporté à la diversité des cadrages. Les dialogues, enfin, tantôt accomplissent la dramaturgie, tantôt donnent aux bulles de textes la fonction d’une simple bande son. Pour autant, cette technicité que Bastien Vivès s’approprie n’est jamais en dépit de son medium mais bien pour métisser sa bande dessinée et déployer à sa façon les potentialités du 9e art.

L’œuvre de la maturité

Une sœur vient attester que Bastien Vivès n’est pas simplement un jeune dessinateur aux facilités déconcertantes mais un auteur au sens le plus fort du terme. Il ouvre la voie à toute une génération d’artistes qui succède à celle des années 90 et renouvelle le genre. À 32 ans, il se place au premier plan de l’innovation en bande dessinée comme d’autres, avant lui et au même âge, réinventaient ce support, il y a 25 ans.

Une sœur est sans conteste son œuvre la plus personnelle à ce jour. Il investit Antoine, son protagoniste, de sa propre physionomie, de sa propre situation familiale. Il ancre le récit dans son intimité et sème le trouble entre fiction, autobiographie et autofiction pour explorer un champ narratif qui n’appartient qu’à lui. Ce trouble du genre, il le distille savamment au gré de l’histoire, capturant d’autant mieux les émotions qu’il laisse ouvertes de nombreuses pistes d’interprétations, jouant avec les intuitions de son lecteur, le laissant en suspend et le poussant avec malice hors de ses zones de confort. Une sœur se départit ainsi de la romance d’été pour lester son atmosphère d’une tension dramatique qui dépasse le simple émoi érotique. Bastien Vivès gagne en gravité et laisse affleurer une noirceur inédite alors dans son œuvre. Tout l’enjeu de l’histoire se situe hors d’elle-même, suggéré, latent et baigne l’ensemble du livre d’une ambiance tourmentée.