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Interview
Archive Dossier : Tardi, maître du noir et blanc
En trente ans de création, au fil d'un parcours d'auteur exceptionnellement fécond, Tardi s'est imposé comme un artiste majeur de la bande dessinée en noir et blanc.
Que ce soit dans le registre du polar, de la fresque historique ou du roman-feuilleton, dans les décors de ce Paris qu'il aime tant ou aux côtés d'écrivains de renom, Tardi sait faire vibrer comme personne, en virtuose, toute la vitalité du trait, toute la puissance contrastée du noir et blanc. Aux sources mêmes du dessin, des albums essentiels pour une oeuvre magistrale, à découvrir ou redécouvrir de toute urgence.
Le Cri du peuple
Violente et généreuse, gouailleuse et tragique, voici l'extraordinaire aventure de la Commune de Paris mise en image par un Tardi au sommet de son art. Scénarisée par le romancier Jean Vautrin d'après l'un de ses propres livres, cette fresque grandiose relate ces quelques semaines du printemps 1871 pendant lesquelles le peuple parisien a passionnément rêvé d'un monde meilleur, jusqu'à en mourir... Dans une ambiance de fièvre, une myriade de personnages se cherchent, s'aiment ou s'affrontent, tandis que le destin est déjà en marche.
Orchestrées par un trait somptueux, les compositions de Tardi sont magnifiées par un format à l'italienne très cinématographique. Une manière inimitable de faire résonner à l'unisson l'épopée romanesque et le grand vent de l'Histoire.
L'espoir assassiné fait suite au premier volet de la trilogie, Les Canons du 18 mars (Alph'art du Public et Alph'art du Dessin au Festival d'Angoulême 2002).
Les aventures de Nestor Burma
Quand Tardi interprète Léo Malet, c'est toute l'âme du polar qui prend vie.
Leur rencontre date du début des années 80. Dans Brouillard au Pont de Tolbiac, Tardi ressuscite en bande dessinée le héros initialement imaginé par Malet, figure tutélaire du roman policier français : Nestor Burma, détective de choc, faux dur à la fibre anarchisante. Coup d'essai, coup de maître : un univers est né. L'osmose est totale entre les deux auteurs. Le trait charboneux de Tardi, son art des ambiances, offrent un écho parfait aux intrigues touffues du romancier. Mais surtout, il y a la passion sans limite que l'un et l'autre nourrissent pour Paris : leur peinture souvent crépusculaire de la capitale des années quarante et cinquante place la ville et ses mystères au premier plan du récit. Trois autres aventures de Nestor Burma, chacune dans un arrondissement différent, suivent le premier album au fil des années. Ces ouvrages constituent désormais l'une des références majeures de la bande dessinée moderne.
Tardi et les écrivains
De Vautrin à Malet en passant par Céline ou Pennac, Tardi fréquente les écrivains depuis toujours. Adaptations ou collaborations, ses incursions littéraires ont fourni à son exceptionnel talent graphique un matériau romanesque d'une richesse unique, en même temps qu'un formidable espace de liberté. C'est souvent par le noir et blanc, sa signature de prédilection, qu'il a laissé s'épanouir avec le plus d'éclat cette longue connivence avec la littérature. De l'évocation acide du Paris de l'après Grande-Guerre (Le Der des Ders) à l'exploration crue des bas-fonds new-yorkais (Tueur de cafards), du néo-polar de Griffu à l'étrangeté poétique d'Ici Même, Tardi multiplie les oeuvres fortes et les personnages hors-normes.
Tardi en solo
L'originalité de Tardi sait aussi donner toute sa mesure en solo.
Parallèlement à ses collaborations avec de grands scénaristes ou écrivains, il émaille régulièrement son parcours d'auteur d'albums réalisés seul. Deux d'entre eux s'inscrivent dans son oeuvre en noir et blanc. Et illustrent, avec une force et une sensibilité peu communes, des thèmes qui lui sont particulièrement chers. C'était la guerre des tranchées est sans doute la création la plus personnelle, la plus « intime » de la bibliographie de Tardi. Horrifié et fasciné à la fois par le conflit de 14-18, il y explore le long cri d'agonie des combattants de la Grande Guerre, dépossédés de leurs derniers lambeaux d'humanité. Un document poignant, réalisé avec la méticulosité d'un historien. Dans un registre plus divertissant, Le démon des glaces est un vibrant hommage à l'esprit du roman-feuilleton du XIXe siècle, autre grande passion du dessinateur. Savants fous, monstres et machines infernales rythment les coups de théâtre d'une aventure échevelée, initialement publiée en 1974.
Entre ironie, suspense et noirceur, tout le génie de Tardi est déjà là, préfigurant l'entrée en scène d'une certaine Adèle...