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Interview
Archive Interview : Nicolas Barral raconte « Nestor Burma, Boulevard… Ossements »
Pour sa nouvelle enquête en bande dessinée dans le IXe arrondissement de Paris, Boulevard… Ossements, Burma est mis en images par Nicolas Barral. Une première. Explications.
Casterman : Nestor Burma en bande dessinée, vous étiez fan ?
Nicolas Barral : Et même un gros fan ! De Burma, et surtout de Tardi… J’avais 17-18 ans quand j’ai fait mes premiers pas de dessinateur en herbe. Comme je venais de lire une interview de Tardi où il expliquait sa méthode de travail à propos de cette série, je suis parti en repérage dans Paris avec mon appareil photo et j’ai réalisé un mini récit… à la Tardi. Le temps a passé, d’autres auteurs m’ont influencé, mais Tardi reste tout de même une référence importante pour moi.
Casterman : Cette reprise a donc été un plaisir ?
Nicolas Barral : J’ai été contacté quand Emmanuel Moynot a souhaité faire une pause pour se consacrer à des choses plus personnelles, et j’avoue que la proposition m’est allée droit au coeur. J’ai fait quelques planches d’essai pour savoir si j’étais capable d’entrer dans la peau de Jacques Tardi… Et c’était concluant. Il faut souligner que j’avais déjà mis en scène des histoires se déroulant dans les années 1950 : Les Aventures de Philip et Francis, une parodie de Blake et Mortimer, et Les Ailes de plomb, un polar plus en lien avec l’ambiance des romans de Léo Malet.
Casterman : Deuxième étape, il a fallu choisir quel roman adapter… Pas trop difficile ?
Nicolas Barral : Tardi m’avait donné envie de découvrir les romans de Malet. Je connaissais Les Nouveaux Mystères de Paris que j’ai relus pour l’occasion. Boulevard… Ossements s’est imposé naturellement en raison de sa scène d’introduction plutôt comique et mouvementée, et de ses dialogues savoureux. Comme j’ai pas mal pratiqué l’humour ces derniers temps, la transition me paraissait plus facile.
Casterman : Un humour qui transparaît aussi plus d’une fois au fil de cette bande dessinée…
Nicolas Barral : En tant que lecteur, j’ai toujours trouvé que le dessin de Tardi, sur la série des Burma, possédait une certaine dose d’humour. C’est une des raisons pour lesquelles j’ai accepté cette reprise, car j’avais l’intuition que cela me conviendrait bien. Pour le reste, j’ai en effet des réflexes humoristiques qu’il s’agissait de dompter pour ne pas tirer l’univers du « détective de choc » vers la parodie. Mais de toute façon, cet univers est à la base rigolo. Il y a chez Léo Malet de la truculence dans les dialogues, et une forme de second degré dans le traitement de son personnage central.
Casterman : Comment avez-vous maîtrisé les personnages et leur mise en place ?
Nicolas Barral : Après m’être chauffé sur les planches d’essai, je me suis lancé directement dans le découpage. Au fil des pages, je prenais des notes graphiques. Les personnages se sont mis en place petit à petit. Nestor est né des expressions que l’histoire m’imposait de lui donner. Je n’avais pas de grosse pression de la part de Tardi qui souhaitait que je m’empare de Burma. Mais nous sommes dans un principe de série où il est nécessaire que, d’un album à l’autre, le lecteur reconnaisse ses personnages fétiches. Le mimétisme en question ne m’a pas demandé d’effort car j’aime le Nestor de Tardi. J’ai pris ma liberté ailleurs. Nous ne racontons pas tout à fait les histoires de la même manière, Tardi et moi.
Casterman : Vous faites davantage jouer les personnages, semble-t-il ?
Nicolas Barral : Oui, c’est un réflexe qui vient du dessin humoristique. J’aime aussi jouer avec la « caméra » en variant les angles de prises de vue. Pour le bureau de Burma, par exemple, j’ai dû définir une topographie des lieux que Tardi avait laissée dans le flou. Il a fallu trouver la bonne distance entre son travail et le mien, m’approprier son univers graphique sansgommer les habitudes qui me sont propres. Les personnages secondaires comme Tchang-Pou, le restaurateur chinois, ou Omer Goldy, le diamantaire, sont de bons exemples de cette rencontre stylistique.
Casterman : Venons-en à l’histoire. En dehors, justement, d’une mafia chinoise et de diamantaires juifs, l’intrigue offre encore à débrouiller un mélimélo avec des Russes blancs…
Nicolas Barral : Oui, les milieux dépeints sont pittoresques, et l’intrigue est alambiquée à souhait. À côté de ça, j’aime bien l’idée que l’on s’instruise en lisant. Ici, par exemple, l’affaire des Russes blancs – je n’en dirai pas plus pour préserver l’enquête de Burma – ne me paraissait pas très connue. Sous l’angle du récit policier, c’est l’occasion de revisiter un pan de l’histoire du XXe siècle. Et enfin, cet épisode m’a également intéressé par son casting très féminin. Les femmes y jouent les premiers rôles, à commencer par Hélène Chatelain, la secrétaire de choc de l’agence Fiat Lux…
Casterman : Vous avez repris votre appareil photo pour arpenter le IXe arrondissement ?
Nicolas Barral : J’ai refait tout le parcours de Burma, en cherchant notamment un lieu qui ressemblerait à la boutique de lingerie féminine, tenue par Natacha et Sonia dans le roman. J’ai trouvé des éléments d’inspiration, sur le boulevard Haussmann d’ailleurs, dans deux magasins appartenant au même propriétaire. L’un comporte un étage pour la présentation et possède un bel escalier Art déco. Et je me suis servi de l’autre pour dessiner sa magnifique devanture en bois ornementé qui devient, dans l’album, celle de « Chez Natacha ».
Casterman : Bien entendu, vous avez aussi retrouvé les traces des anciens bobinards de Paris et de Shanghai…
Nicolas Barral : Ah, ah… non, je ne suis pas allé jusque-là. Mais vous n’avez pas tort, car il a fallu que je me renseigne sur le sujet. Pour L’Étrangleur (le périodique lancé en amont de la sortie de l’album, qui propose une prépublication de cette nouvelle aventure de Nestor Burma sous forme de feuilleton, ndlr), j’ai rajouté des scènes alternatives et l’une d’elles est un flashback qui se déroule à Shanghai, à l’intérieur du lupanar cité dans le roman. Comment dire… ? J’y suis allé avec les moyens du bord. J’ai utilisé des vieilles photos d’époque et des extraits de films. Ainsi, pour représenter la chambre de la prostituée de la rue de Mogador, j’ai visionné Irma la douce, de Billy Wilder.