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Interview
Nerval l'inconsolé de David Vandermeulen et Daniel Casanave, par-delà l'obscure clarté...
Il était le ténébreux, le veuf, l'inconsolé ; le prince d'Aquitaine à la tour abolie... Si Gérard de Nerval demeure pour beaucoup l'un des plus grands poètes français, sa vie reste méconnue et emplie de mystères... Nous avons posé 3 questions à David Vandermeulen, le scénariste de Nerval l'inconsolé. L'occasion d'en apprendre plus sur la vie de ce poète mal connu et sur la genèse de cette bande dessinée.
La vie de Nerval, bien plus qu’une autre, fut un véritable drame romantique. Pensez donc ! Un jeune homme si précoce qui, dès l’âge de 19 ans (lui qui parlait à peine l’allemand !), connut une gloire européenne d’une soudaineté inouïe, quasi inédite, grâce à la traduction française du Faust de Goethe, l’un des textes les plus importants du XVIIIe siècle… Gérard – car à cette époque il ne s’autorisait de signer ses écrits que de son simple prénom – sera toute sa vie ramené à ce premier exploit. Tout comme plus tard il sera aussi systématiquement réduit à sa folie, puisqu’il fut à plusieurs reprises, durant sa courte existence (il mourut avant d’atteindre ses 47 ans), interné à la clinique du docteur Blanche.
Célèbre trop jeune, poète devenu artiste bohème, suicidé fou, fallait-il en jeter plus pour devenir culte ? Aujourd’hui, Gérard de Nerval est connu de tous ; même si peu l’ont beaucoup lu, le nom de Nerval est désormais associé à la gloire littéraire. Il n’en a pourtant pas toujours été ainsi. Il a fallu attendre des décennies avant que la notoriété littéraire qu’il connut de son vivant au sein de certains cercles, ainsi que la courte gloire posthume qui naquit peu de temps après sa mort, ne gagne le grand public.
Était-ce un choix avec Daniel Casanave, le dessinateur, de représenter Nerval si petit, chétif, face aux femmes ?
À vrai dire, Daniel et moi ne nous sommes jamais consultés sur la taille de Nerval. Daniel l’a fait petit et ça nous a paru naturel et évident. Nerval fut très longtemps considéré comme un romantique mineur. Alors que sa production littéraire est bien plus restreinte que celle de Dumas, Hugo ou Balzac, cela fait seulement depuis quelques dizaines d’années que l’on considère Nerval comme un auteur majeur. Son envie d’embrasser le monde, ses difficultés à se faire aimer des femmes, sa mise à l’écart (dans les journaux, certains avançaient à l’aube de ses 40 ans qu’il était déjà fini et psychiquement mort), tout cela a fait que nous le voyions petit. Petit mais nullement discret !
Selon vous, quelle est l’origine de la fascination de Nerval, mêlée à la crainte, pour les femmes ?
En définitive, on n’en sait trop rien. Car s’il n’a cessé d’écrire sur lui-même, on sait finalement peu de choses sur Nerval. Ce qu’il écrivait sur lui – ses aventures comme ses sentiments – est à prendre avec beaucoup de précautions : nous savons désormais qu’il travestissait le réel et l’arrangeait parfois à son avantage. Sa façon de parler des femmes, ces avances excessives et incessantes envers l’actrice Jenny Colon dont il était tombé éperdument amoureux, nous font dire qu’il ne savait absolument pas s’y prendre. Le contraste avec Gautier et Dumas est sur ce point assez saisissant. Ces deux-là étaient au contraire des ogres inassouvis qui collectionnaient les conquêtes en ne s’empêchant jamais d’être de parfaits goujats. Nerval fut, lui, un éternel célibataire.
Bien qu’il ait été interné plusieurs fois, l’album fait finalement assez peu mention de ces moments dans la vie de Nerval. Pourquoi ce choix ?
Selon moi, la folie de Nerval n’était pas aussi critique que nous l’a transmise la légende littéraire. Il fut diagnostiqué fou par le Docteur Blanche mais si on lit Nerval, et notamment son Voyage en Orient écrit après son premier passage en clinique, on se rend bien compte qu'il n’était pas du tout fou comme on l’entend communément, pas comme a pu l’être un Nietzsche à la fin de sa vie, par exemple. Nerval, lui, n’a jamais cessé de côtoyer les grands esprits de son temps, comme Dumas ou Gautier. Ce qui est par contre vrai, c’est qu’il était avant tout un sacré alcoolique. Notre histoire s’attarde plus sur ses problèmes de boissons que sur sa folie, même si celle-ci fut effectivement bel et bien réelle par moment. L’enjeu de notre biographie était de rendre Nerval plus humain, plus proche de nous. Des générations de professeurs l’ont présenté comme un fou génial, selon Daniel et moi, c’était plutôt un génie sujet à quelques crises de folie.