Interview

L’Année de grâce

Quel est le message principal de votre roman ?

Kim Liggett : Je dirais que c’est un roman qui parle de femmes soutenant d’autres femmes. C’est réellement la clé : nous devons nous soulever ensemble. C’est le seul moyen d’y arriver.

Peut-on dire que La Servante écarlate est une inspiration pour vous ?

Kim Liggett : Absolument ! Margaret Atwood est incroyable. Vous savez, je l’ai lu quand il est sorti et il a eu un tel effet sur moi que j’ai fait attention de ne pas le relire avant d’avoir terminé l’écriture de mon livre. Il m’a complètement inspirée mais les points de vue sont différents.

Avez-vous également pensé aux sorcières de Salem lors de l’écriture ?

Kim Liggett : Vous savez, c’est drôle, en fait je n’ai pas pensé aux procès des sorcières de Salem. J’ai vraiment pensé aux superstitions, certes, mais surtout à la façon nous traitons les jeunes filles dans notre société – qui est, pour moi, atroce. Je pense que nous avons cette tendance à utiliser les jeunes filles pour tout vendre, de la gaine à la crème anti-rides. On en a fait un idéal et on les a mises sur un piédestal, ce qui fait qu’on est que plus qu’heureux de les en faire tomber. C’est comme si à la seconde où elles font quelque chose de mal, elles étaient entièrement coupables et méritaient d’être abandonnées à elles-mêmes, ce qui est horrible.

Y a-t-il un lien entre votre livre et la situation actuelle aux États-Unis avec le mouvement #MeToo, Donald Trump… ou est-ce seulement une coïncidence ?

Kim Liggett : Oh non ! Il n’y a aucune coïncidence. J’étais vraiment, vraiment en colère quand j’ai décidé d’écrire ce livre. Il n’y a rien dans ce livre que je n’ai pas ressenti, vu ou vécu à certains niveaux. C’est un voile très fin. Je pense que la plupart des gens pourront le soulever.

Nous vivons dans une société bavarde où, pourtant, certaines choses affreuses faites aux filles et aux femmes restent tues. Qu’en pensez-vous ?

Kim Liggett : Après ces dernières élections aux Etats-Unis, beaucoup de femmes pensaient que si elles restaient silencieuses, si elles suivaient les règles, elles allaient s’en sortir indemnes. Ce n’est absolument pas vrai et je crois que les gens sont enfin en train de réaliser que nous devons nous exprimer. Autrement, nous sommes complices.

Diriez-vous que L’Année de grâce est un livre féministe ou un livre sur le féminisme ?

Kim Liggett : Honnêtement, c’est les deux à la fois, mais si je devais choisir, je dirais que c’est un livre sur le féminisme.

 

Vous dites que le féminisme n’est pas d’avoir raison ou tort, mais qu’il y a un message plus large, plus universel peut-être…

Kim Liggett : Je pense que l’idée qu’ont les gens du féminisme est trop limitante. Pour moi, être féministe, c’est être capable de faire mes propres choix, peu importe ce que sont ces choix. C’est tellement facile de juger les autres femmes. Je me surprends moi-même à le faire, et donc j’ai commencé à me questionner sur tout : « pourquoi je n’aime pas cette femme ? est-ce que je me sens menacée par elle ? est-ce qu’il y quelque chose à propos d’elle qui me rappelle quelque chose que je n’aime pas chez moi ? » C’est incroyable, neuf fois sur dix, c’était mon problème. Ce n’était pas le sien. Essayer de voir les femmes comme elles sont et non pas comme je voudrais qu’elles soient… C’est fou comme cette petite chose simple a permis d’ouvrir mon propre monde.

Le personnage de la mère est très fort dans le livre. Est-ce qu’il y a un message à propos de la maternité que vous vouliez faire passer dans votre roman ?

Kim Liggett : Une grande partie de ce livre parle du silence intergénérationnel et de comment, parfois, on reste silencieux sur les risques que courent nos filles, parce qu’on pense ainsi les protéger. On se dit « oh, peut-être que ça ne lui arrivera pas, je ne veux pas lui faire peur ». Ou certaines personnes, inconsciemment, se disent « j’ai dû apprendre à la dure, donc elles doivent apprendre de la même façon ». Donc je crois qu’on doit parler plus de ces problèmes car on est véritablement en train d’envoyer nos jeunes filles seules dans la nature.

Est-ce que, d’une certaine façon, l’histoire de Tierney est l’histoire d’une fille qui décide de ne plus suivre les règles ?

Kim Liggett : Oui, et je pense qu’une des choses intéressantes à propos de Tierney – et de sa famille – est qu’elle était autorisée à rêver, elle était autorisée à penser. C’est pour cela qu’elle est comme elle est. C’est parce qu’on lui a permis d’être comme ça. Et je pense que nous devons permettre à nos filles de faire de même.

Le père est un personnage qui reste longtemps ambigu dans l’histoire. Il est déchiré entre le bon père et le « mauvais » homme.

Kim Liggett : Pour moi, il y a beaucoup de personnages dans ce livre qui défient ces idées. Personne n’est complètement bon ni complètement mauvais. Nous apprenons tous tout le temps. Nous sommes juste des êtres humains. Nous avons tous un long chemin à parcourir. Les femmes ont un long chemin à parcourir. C’est très facile de pointer du doigt les hommes… c’est tellement facile mais nous avons un rôle majeur à jouer là-dedans. Et il faut commencer par convertir notre colère en son contraire, en nous traitant mieux les unes les autres. Si nous regardions nos consœurs avec plus de compassion et plus d’empathie, nous verrions alors que c’est incroyable ce que ce petit changement peut faire.

Donc il y a toujours de l’espoir ?

Kim Liggett : Oui, il y a toujours de l’espoir.

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